lundi, 28 janvier 2019
 

Interview avec Darhim Hashim : une seule norme Halal mondiale n’est ni possible ni nécessaire

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Afin d’informer les consommateurs sur les enjeux actuels de la certification Halal et des démarches vers la standardisation de ce marché, ASIDCOM a réalisé une entrevue avec Darhim Hashim, le Directeur Général de l’IHIA. Depuis mai 2006, ce dernier dirige son organisation dans le but de créer une référence mondiale pour le Halal, en collaboration avec la Chambre Islamique du Commerce et d’Industrie (CICI). CICI est une institution affiliée à l’Organisation de la Conférence islamique (OCI) représentant le secteur privé des 57 pays membres de l’OCI.,..

ASIDCOM : Dites-nous en plus sur vous et sur votre expérience du marché Halal

Darhim Hashim : De formation académique, je suis comptable agréé, mais je me suis impliqué dans le secteur agricole, pour la première fois, alors que je travaillais avec un conglomérat qui avait une division « plantation et agriculture ». L’une de mes tâches était d’intégrer l’élevage dans les plantations de palmiers à huile. Je me suis découvert une passion pour ce secteur et ai décidé de me spécialiser dans les bovins et le bœuf. Cela m’a exposé directement à l’entièreté de la chaîne d’approvisionnement pour la viande halal de la ferme à l’alimentation, à la manipulation, au transport, à la contention (et à l’étourdissement), à l’abattage, à la transformation, au stockage et à la vente au détail. Mon expérience de terrain couplée à mon entreprisem’ont valu un poste de direction avec la nouvellement mise en placeHalal Industry Development Corporation (HDC), une initiative du bureau du Premier ministre pour hisser la Malaisie vers un centre mondial du Halal. J’étais responsable du développement de l’industrie, ce qui implique le renforcement des capacités des petites et moyennes entreprises (PME) actives dans le secteur des produits halal, l’aide aux entreprises existantes à accéder aux marchés d’exportation et la facilitation des flux d’investissements étrangers directs dans le secteur. J’ai quitté HDC pour mettre en place l’Alliance internationale d’intégrité halal (IHI Alliance), et obtenir un mandat pour celle-ci lors du Sommet de l’OCI islamique à Dakar au Sénégal, afin de développer un programme Halal mondial en collaboration avec notre partenaire, la Chambre Islamique du Commerce et de l’Industrie (ICCI).

Grâce à IHI Alliance, j’ai pu participer directement à la tentative de résolution des problèmes de fragmentation des normes, de manque de supervision et de réglementation, de manque de reconnaissance mutuelle, entre autres. En outre, j’ai été activement impliqué dans la promotion du concept de Halal en particulier auprès d’auditoires non-musulmans dans différentes plateformes, notamment le Forum des biens de consommation, l’Association de l’industrie de la viande en Nouvelle-Zélande, la Banque mondiale et l’Association des lois alimentaires en Europe, pour n’en nommer que quelques-unes. J’ai également été interviewé sur la question de l’industrie halal par Forbes, Time Magazine, The Economist et The New York Times.

ASIDCOM : Dites-nous en plus sur votre organisation ICCI – IHIA

Darhim Hashim : L’Alliance internationale de intégrité du halal (« IHI Alliance ») est un organisme international sans but lucratif créé pour défendre l’intégrité du concept de marché halal dans le commerce mondial, grâce à la reconnaissance, à la collaboration et à l’adhésion. IHI Alliance a été formée à la suite d’une résolution adoptée par les délégués internationaux lors du Forum mondial Halal de mai 2006. Plus de 30 pays différents étaient représentés au Forum mondial Halal 2006, par un échantillon représentatif d’intervenants issus de l’entière chaîne logistique de l’industrie. La conclusion du Forum qui a été universellement soutenue par les délégués a été la nécessité d’une norme mondiale des aliments halal, et la tâche de porter cet effort a été assignée à IHI Alliance.

IHI Alliance répond à l’appel retentissant fait par l’industrie afin de développer une certification Halal mondiale et un système d’accréditation reconnu à travers le monde. A cet effet, IHI Alliance a établi une collaboration stratégique avec la Chambre Islamique de Commerce et d’Industrie ("CICI"). CICI est une institution affiliée à l’Organisation de la Conférence islamique (« OCI »), qui représente le secteur privé des 57 pays membres de l’OCI. Le président du CICI, Son Excellence Cheikh Saleh Abdullah Kamel, est par ailleurs le président de l’Alliance IHI.

ASIDCOM : A partir de votre expérience, pouvez-vous nous décrire le milieu de la certification halal des produits, ses faiblesses et ses points forts ?

Darhim Hashim : La certification halal reste largement une industrie non réglementée. Excepté dans certains pays de l’ASEAN (Association des Nations du Sud-Est Asiatique,) à savoir la Malaisie, Singapour, l’Indonésie, Brunei et la Thaïlande, il n’existe aucune infrastructure de réglementation dans la plupart des pays principaux producteurs et exportateurs de produits halal. Jusqu’à présent, seule la Nouvelle-Zélande a pris l’audacieuse décision de réglementer la certification halal par son avis halal annoncé récemment, qui relève de la compétence fédérale de l’Autorité de sécurité alimentaire. En l’absence de cette surveillance réglementaire,on laisse les organismes de certification halal (HCB) fonctionner à leur propre discrétion, et le plus souvent ils ne sont guère ou pas du tout scrupuleux dans l’exercice de cette lourde responsabilité. C’est malheureux, car il y a aussi de nombreux organismes de contrôle véritables qui accomplissent leurrôle en étant dignes de confiance, mais sont minés par les méfaits de ceux qui rendent un mauvais service à l’industrie ainsi qu’à la Oummah. Les gouvernements des pays à majorité non-musulmane qui veulent sérieusement être des acteurs majeurs de l’industrie mondiale halal ne peuvent plus considérer le halal comme une simple question religieuse et l’ignorer sous prétexte de laïcité. La certification halal est aujourd’hui bien plus qu’une simple question religieuse, car elle touche l’industrie, les activités commerciales, les droits des consommateurs, le commerce international et même reflète la réputation de l’intégrité du pays.

La certification halal a ouvert une nouvelle et riche expérience pour les consommateurs musulmans du monde entier. L’avènement de la mondialisation du commerce des produits alimentaires, de l’immigration des musulmans dans les pays à majorité non-musulmane et de l’augmentation du nombre de voyageurs musulmans a stimulé la demande pour les produits et services « Halal-friendly". La certification Halal a permis à ces musulmans d’être en mesure de faire un choix éclairé lors de la consommation de produits qui, autrement, auraient pu être douteux, ou mushbooh. Les sociétés multinationales telles que Nestlé, Carrefour ou Unilever ont reconnu la valeur du marché musulman et ont obtenu la certification halal pour beaucoup de leurs produits. Même les chaînes de restauration rapide telles que MacDonald, KFC ou Quick ont établi certains points de vente halal dans les pays non-musulmans, ayant une minorité musulmane significative, ouvrant une toute nouvelle expérience pour les musulmans des deuxième et troisième générations. La certification Halal a permis au halal d’aller de l’avant pour permettre aux musulmans de mieux s’intégrer avec les non-musulmans.

La certification par un tiers indépendant permet un bon contrôle et une bonne évaluation des entreprises productrices du Halal. Ce qui est nécessaire désormais est un système de contrôle et d’évaluation des certificateurs eux-mêmes.

ASIDCOM : Parlez-nous de l’expérience malaisienne pour organiser son marché halal.

Darhim Hashim : La Malaisie a une longue histoire de réglementation de l’industrie Halal. Avant1963, le suivi des produits halal était assuré par les autorités étatiques, mais c’est seulement en 1971 qu’une lettre officielle a été délivrée par l’autorité islamique de l’État pour confirmer le statut halal d’un produit. En 1975, une loi pour protéger l’utilisation du mot « Halal » a été incorporée dans Loi de description du Commerce de 1972. Cela signifiait que les consommateurs étaient protégés contre l’étiquetage frauduleux ou incorrect. Pendant la période d’essor industriel des années 1980, une importante transformation démographique s’est produite. Avec une meilleure distribution des richesses, il y a eu plus de malaisiens (et donc de musulmans) urbains, de classe moyenne, avec un pouvoir d’achat plus élevé. Ceci a obligé les exploitants de restaurants et d’hôtels et les fabricants de produits alimentaires à s’assurer que leurs offres étaient halal, afin de servir ce marché en pleine croissance. Cette demande a créé le besoin d une certification halal qui a été introduite par Jakim (Département du développement religieux de la Malaisie) en 1994. Jusqu’à aujourd’hui, la certification halal est une démarche volontaire en Malaisie, elle dépend par conséquent de la demande des consommateurs. La croissance de l’industrie Halal a progressé au-delà du marché domestique. Ceci a propulsé les produits certifiés halal sur la scène mondiale du commerce, ce qui signifiait la nécessité de se conformer aux normes internationales. Cela a conduit à la première Norme Halal documentée (MS1500 : 2000), qui a été développée en conformité avec les meilleures pratiques internationales de standardisation. Depuis, il y a eu deux révisions de la MS15000 et ultérieurement de nouvelles normes ont été publiées concernant des secteurs spécifiques de l’industrie tels que les cosmétiques halal, la gestion de chaîne d’approvisionnement et les systèmes de gestion. Plus récemment il y a eu un nouvel amendement à la Loi sur la description du commerce afin d’accroitre les sanctions pour fraude concernant l’étiquetage halal et afin d’autoriser des agents de Jakim à mener des activités exécutives.

ASIDCOM : Quelles sont les informations dispensées aux consommateurs malaisiens concernant les produits halal qu’ils achètent ?

Darhim Hashim : Au niveau de la vente au détail, un logo malaisien halal est affiché sur l’emballage externe du produit. Ce logo doit aussi être accompagné d’un numéro de référence attribué à l’entreprise qui fabrique le produit. Par conséquent, il est possible de vérifier par recoupement avec Jakim, afin d’authentifier le logo halal délivré à la compagnie. A part cela, il y a l’étiquette habituelle des ingrédients et si nécessaire une étiquette nutritionnelle.

ASIDCOM : Malgré tout, le marché Halal, à travers le monde, est un marché très opaque pour les consommateurs et petits commerçants. Pourquoi ?

Darhim Hashim : C’est principalement parce que la certification halal est une industrie non réglementée. Les organisations qui sont responsables de l’audit, de l’émission de la certification halal et de la surveillance ne sont généralement pas responsables devant une autorité exécutive. La plupart des gouvernements dans les pays à majorité non musulmane sont laïques, alors quand ils traitent le halal comme une question religieuse, ils le laissent à son libre sort. La seule exception dans ce cas est la Nouvelle-Zélande, qui a adopté des lois strictes sur la certification halal des produits pour l’exportation. Cette loi a obligé les producteurs et les certificateurs à être transparents pour tous les intervenants. En l’absence de toute loi, certains organismes de certification halal ont pris sur eux d’être transparents dans la divulgation de leurs normes et procédures. Ils ont été capables de gagner la confiance de leurs clients de cette façon.

ASIDCOM : A votre avis, quelles sont les différents responsables de cette opacité ?

Darhim Hashim : Si j’ai bien compris la question, pourquoi ceux qui sont impliqués sont-ils opaques ? Ceci demande de fouiller dans la psychologie de ces responsables dans leurs organisations et je ne saurais être en mesure de répondre pour eux. Je voudrais croire que ce manque de transparence est dû au fait qu’ils ne sont pas conscients de ces exigences. Contrairement à des sociétés comme Bureau Veritas ou SGS, les organismes de certifications Halal ne possèdent pas une accréditation ISO 17020, le guide 65,… donc pour eux il n’y a pas d’obligation en tant que telle d’être transparents. A l’Alliance IHI, nous avons introduit un programme d’accréditation pour les organismes de certifications Halal afin de combler ce vide en particulier.

ASIDCOM : Quelle est la responsabilité des consommateurs musulmans ? Et comment peuvent-ils contribuer à assurer leurs droits à être convenablement informés ?

Darhim Hashim : Les groupes de consommateurs militants sont une voix puissante et peuvent être un bras de levier pour une bonne influence. Ils sont responsables d’eux-mêmes en tant que consommateurs. En tant que voix collective, ils sont forts et ont une responsabilité supplémentaire d’exercer ce pouvoir de façon juste et équitable. Nous avons des cas dans cette région où les groupes de consommateurs agissent de manière irresponsable en intimidant les entreprises et en causant des pertes financières en diffusant des mensonges et de fausses accusations. Les groupes de consommateurs doivent se battre pour la vérité et n’agir que lorsque des faits solides sont établis. Il existe des cadres juridiques par lesquels les droits des consommateurs musulmans peuvent être protégés, telle que la véracité dans les lois d’étiquetage. Les groupes de consommateurs doivent être prêts à investir dans un bon avocat qui saurait comment exercer un recours en conséquence. Un représentant du groupe de consommateurs musulmans devrait être actif dans tout type d’organe de surveillance, comme un organisme d’accréditation qui superviserait les activités des organismes de certifications halal.

ASIDCOM : Quels sont les bénéfices de la standardisation et d’un système d’accréditation national ? Sont ils requis pour organiser le marché Halal ?

Darhim Hashim : Avoir une norme documentée dans un format compris par les intervenants est une première étape essentielle vers la transparence. Les organismes de certification ont besoin de mettre à disposition la norme qu’ils utilisent pour certifier des produits, de sorte que le public sache ce que leur logo représente. Essayer d’avoir une norme commune unique serait idéal, mais pas une étape nécessaire pour organiser le marché halal. Des normes différentes peuvent coexister tant qu’il y a un mécanisme de reconnaissance mutuelle. Par exemple, la Malaisie et l’Indonésie peuvent avoir des normes différentes, mais dans une entente réciproque l’un pourrait reconnaître le statut Halal des produits de l’autre. De même, l’autorité importatrice des Emirats Arabes Unis pourrait reconnaître (en plus de la norme GSO) la norme malaisienne et indonésienne pour les produits importés dans les pays du CCG.

Un système d’accréditation national permettrait de renforcer davantage l’intégrité de la certification halal en fournissant une certaine surveillance des activités des organismes de certifications Halal. L’accréditation donne plus confiance aux consommateurs en la crédibilité de l’organisme de certification. Un produit certifié par un OC accrédité halal signifie que les normes utilisées sont transparentes et que le certificateur a adhéré à un ensemble de critères rigoureux qui montre son niveau de compétence et de professionnalisme.

ASIDCOM : Certains certificateurs en France croient que la création d’une norme Halal va signer la fin du rôle des certificateurs. Pensez-vous que c’est le cas ?

Darhim Hashim : La norme halal va en fait renforcer le rôle des organismes certificateurs. Une norme constituera une référence de base que les certificateurs et l’industrie pourront utiliser. Lorsqu’une norme est disponible pour que l’industrie la mette en œuvre, il y a besoin d’un tiers indépendant pour auditer et certifier, ce qui engendre plus de travail pour les organismes certificateurs. Je ne crois pas qu’il est nécessaire, ni pratique, d’avoir une norme halal définitive au niveau national, voire européen. Les musulmans en France et dans le reste de l’Europe sont une communauté variée et toutes les croyances et interprétations doivent être prises en compte. Ce dont on a besoin est peut-être une définition juridique du halal en vue de protéger les consommateurs musulmans contre l’étiquetage frauduleux. Cela définit un niveau minimum en tant que tel ou une compréhension générale de ce qui est communément accepté comme halal. Des normes peuvent ensuite être développées sur une base privée, en consultation avec les savants du Fiqh.

ASIDCOM : Voulez-vous ajouter un dernier mot ?

Darhim Hashim : Après avoir été si impliqué pour tenter de standardiser le Halal pour le monde, j’en suis venu à la conclusion qu’une seule norme mondiale n’est ni possible ni nécessaire. Nous devons accepter que nous sommes une Oumma variée - après tout, nous avons été conçus de cette façon ! Nous devrions vraiment écouter la parole d’Allah swt quand il a été révélé « Ô hommes, en effet, Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle et avons fait de vous des peuples et des tribus afin que vous vous entre-connaissiez ...." (49:13). Au lieu de laisser nos différences d’opinions nous diviser, nous devons accepter ces différences et concevoir un système où les consommateurs musulmans et même non-musulmans sont autorisés à faire un choix éclairé lorsqu’ils consomment des produits halal. Ceci peut être réalisé en ayant des normes faites transparentes et l’accréditation des OC halal. Nous pouvons satisfaire les différences grâce à un étiquetage clair permettant aux consommateurs de connaître le produit qu’ils achètent. Je crois que le pouvoir du consommateur finira éventuellement par dicter la consolidation des nombreuses normes halal, et inshAllah vers l’harmonisation.

Voir en ligne : Site de IHI Alliance


 
A propos de ASIDCOM
A propos d’ASIDCOM Créée en 2006 et présidée par Abdelaziz Di-Spigno jusqu’à juin 2011, l’association ASIDCOM est une association de consommateurs musulmans, déclarée ( type loi 1901) le 3 octobre 2006 en Préfecture des Bouches-du-Rhône, puis déclarée le 28 janvier 2013 à la Préfecture du Nord et elle (...)
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