mardi, 2 juillet 2019
 

Interview avec Daniel-Youssof Leclercq : disposer d’un label fiable et juridiquement protégé

Daniel-Youssof Leclercq (DYL) a été à l’initiative de la création en France de la première association de défense des consommateurs musulmans (Intégrité). Il participa aussi activement par le biais de plusieurs fonctions au développement d’institutions musulmanes en France.

Notamment, il a été secrétaire et président de la Fédération Nationale des Musulmans de France (1985-1990) et directeur exécutif du bureau Parisien de la Ligue Islamique Mondiale (1998-1999). Il occupe actuellement un poste strictement honorifique au Conseil constitutif de la Ligue Islamique Mondiale. [1]

De part sa riche expérience au service des sœurs et des frères pendant plus d’une trentaine d’année et de son implication pour la défense des consommateurs musulmans, ASIDCOM a souhaité l’interviewer afin de recueillir son précieux avis sur ce marché du halal et sa vision pour les futurs développements, étant donné la situation particulière dans laquelle on se trouve avec en même temps un "réveil" des consommateurs musulmans et une explosion de ce marché au niveau mondial qui se développe malheureusement anarchiquement.


ASIDCOM : Assalamou alaykoum. Dans les années 80, vous avez participé à la mise en place d’outils d’information du consommateur musulman notamment sur la question alimentaire, pourquoi et comment ?

Daniel-Youssof LECLERCQ : Wa alaykoum salam. Mon intérêt minutieux pour le Halâl je le dois au Professeur Muhammad Hamidullah (le célèbre penseur et écrivain musulman d’origine du Hayderabad qui a non seulement traduit le Coran en français mais est également l’auteur d’une bonne centaine d’ouvrages sur l’Islam), qui m’a alerté dès la fin des années 70 sur le fait que les boucheries dites Halâl ne l’étaient pas véritablement et que certains aliments pouvaient contenir des dérivés du porc ou de bêtes n’ayant pas été abattues rituellement.

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Avis sur les Produits Alimentaires
Guide publié pour les consommateurs musulmans - Association Intégrité

La revue « 50 millions de consommateurs » dénonçait déjà à l’époque « une fraude généralisée ». Mes investigations personnelles m’ont amené à créer en 1979 et à animer pendant une vingtaine d’années, d’abord à Calais dont je suis natif puis à Bobigny en Seine Saint Denis, l’association de défense des consommateurs musulmans Intégrité qui ambitionnait d’assainir ce marché Halâl corrompu.

C’est d’ailleurs sous l’égide de cette association que j’ai édité à plusieurs reprises un petit opuscule intitulé « avis sur les produits alimentaires » qui confronte les produits de consommation courante aux normes islamiques. Installé en région parisienne, j’ai pu sensibiliser et mobiliser quelques 70 associations à travers l’Hexagone et les réunir au sein d’une fédération dénommée Tayyibat, qui souhaitait réglementer le marché Halâl. L’initiative fut contrecarrée par la Mosquée de Paris, alors dirigée par un haut fonctionnaire algérien, qui estimait que cette mission relevait de ses prérogatives à titre exclusif.

ASIDCOM : Quelles leçons tirez-vous de l’expérience, quels sont les forces et les faiblesses ?

DYL : Pour être tout à fait honnête, de mon expérience dans ce domaine je n’ai retenu que les faiblesses puisque cette tentative a échoué. Hormis l’aspect théorique, avec l’établissement de normes et de définitions ratifiées par le Professeur Hamidullah, il a été totalement impossible de mettre en place une structure fiable et stable susceptible de mettre de l’ordre dans ce domaine, compte tenu de l’amateurisme des Musulmans de l’époque et surtout des rivalités ethniques ou culturelles inhérentes aux divers groupes d’influence composant la communauté musulmane de France.

ASIDCOM : Quel regard avez-vous sur la marchandisation de l’Islam ?

DYL : Je ne suis pas personnellement à l’aise avec le business dans les affaires religieuses et je m’en tiens à bonne distance mais j’admets tout à fait qu’il peut être nécessaire voire même impératif d’organiser des marchés autour de certains aspects du culte musulman. C’est le cas pour l’édition de littérature religieuse, pour l’organisation du pèlerinage à La Mecque ou pour la distribution de produits Halâl, entre autres. S’il n’y a pas d’inconvénient à commercer honnêtement, je suis réservé quant au libéralisme à tout craint et sur le mercantilisme de ceux qui ne pensent qu’à accroître leurs profits sans se soucier de l’endurance spirituelle et financière des consommateurs musulmans.

ASIDCOM : Une norme HALAL autour de l’AFNOR mais aussi dans de nombreux pays est en débat. Le CFCM travaille sur un cahier des charges. Le président du CFCM s’est prononcé clairement contre l’usage de l’électronarcose ante-mortem et post-jugulation (juste après la coupe rituelle), comment regardez- vous ces faits ?

DYL : Bien que sa légitimité soit sérieusement contestée au sein de la Communauté Musulmane, le CFCM a tout à fait le droit et même le devoir, comme d’autres, de s’employer à établir une norme Halâl maximale et indiscutable, c’est-à-dire qui convienne aux plus exigeants. Le seul moyen d’apurer le marché actuel du faux Halâl est de disposer d’un label fiable et juridiquement protégé afin que personne ne puisse en user illégitimement sans encourir de sanctions pénales. Pour les Autorités islamiques les plus strictes, l’anesthésie préalable est illégale et doit être prohibée et je suis bien de cet avis. Toutefois, dans le pire des cas, il faudrait au minimum que les consommateurs soient avisés par une signalétique claire, comme pour les OGM ou les AOC, afin qu’ils puissent décider, en leur âme et conscience, s’ils peuvent absorber ou non les viandes et produits issus de telles méthodes.

ASIDCOM : Quel est votre rôle actuel de membre consultatif auprès de la ligue islamique mondiale ?

DYL : Je suis membre du Conseil Constitutif de la Ligue Islamique Mondiale depuis 1990. C’est l’instance la plus haute de cette Organisation Non Gouvernementale (ONG), qui comporte une soixantaine de membres de nationalités diverses, dont le siège est à La Mecque et qui a pour mission d’aider les Musulmans à travers le monde. Ce poste est sans doute plus honorifique que décisionnel mais les membres étant forces de propositions ces dernières sont débattues en séance plénière, ou par délégation avalisées par le Secrétariat Général, et sont adoptées quand elles sont jugées opportunes.

ASIDCOM : Vous connaissez les travaux d’ASIDCOM, son travail pour sensibiliser, informer, défendre le consommateur musulman depuis 4ans et demi, qu’est que cela vous inspire ?

DYL : Etant très concerné par tout ce qui touche à la consommation Halâl, j’ai naturellement examiné les activités et les rapports d’ASIDCOM et je dois avouer que j’ai été agréablement surpris. Les études qu’elle a menées dans le domaine sont bien documentées et son indépendance vis à vis des grands mouvements islamiques de France inspire plus confiance qu’aux autres organismes de contrôle lesquels sont rattachés directement ou indirectement aux distributeurs commerciaux de Halâl. Leur existence dépend de leur allégeance à ces distributeurs et autorise à douter de leur objectivité et du même coup leur sérieux. Je souhaite que ses moyens de fonctionnement et d’action lui permettent de continuer à œuvrer en toute indépendance sans que son intégrité puisse jamais être mise en doute.

ASIDCOM : Peut-on réellement oublier le militantisme, l’engagement au service de frères et sœurs en religion, vous qui avez eu de grandes responsabilités dans l’organisation de l’Islam ?

DYL : Le militantisme, autrement dit les actes « fi sabiliLLAH », dans le sentier de DIEU, donc sans rétribution pécuniaire, est idéalisé par le Saint Coran « suivez ceux qui ne vous demandent aucun salaire et qui sont sur la bonne voie. » (36 :21), « Rien d’autre : sont croyants ceux qui croient en Dieu et en Son messager, puis ils ne doutent point, cependant qu’ils luttent de biens et de corps dans le sentier de Dieu. C’est eux les véridiques » (49 :15) et corroboré par le Prophète, Paix et Salut de DIEU sur lui, qui a défini comme l’homme le plus méritant "le croyant qui lutte dans le sentier de Dieu en prodiguant sa personne et ses biens". » (Sahih al-Boukhary 56/2/1). Je tâche de m’y astreindre, autant que faire se peut, notamment en ne finançant mes travaux et actions qu’avec mes rémunérations professionnelles. Mais, on a naturellement aussi besoin de fonctionnaires pour assurer certaines tâches à temps plein et les perpétuer. L’essentiel, pour ceux qui acceptent d’assumer une responsabilité dans un secteur religieux, c’est de ne pas se cantonner à n’être que des fonctionnaires en oubliant qu’ils peuvent aussi, en tant que tels, donner de leur temps et de leur argent « fi sabiliLLAH ».

ASIDCOM : Cher frère Daniel-Youssof, vous avez la parole pour un message aux consommateurs musulmans.

DYL : Je serai assez dur envers les consommateurs musulmans car je leur reproche de « faire l’autruche en faisant mine d’ignorer qu’ils sont abusés par les escrocs du Halâl. Leur manque d’exigence constitue un encouragement indirect aux fraudes et fait perdurer une situation qui aurait dû cesser depuis bien longtemps. Je les implore d’être infiniment plus vigilants qu’ils ne le sont actuellement, non seulement envers les distributeurs de Halâl mais désormais également envers les contrôleurs de Halâl qui se multiplient sans véritable nécessité et rendent encore plus opaque le marché du Halâl français.

Wassalamou alaykoum.

Voir en ligne : Blog INTEGRITY - Daniel-Youssof Leclercq


[1] Autobiographie pour les nuls, Daniel-Youssof Leclercq

 
A propos de ASIDCOM
A propos d’ASIDCOM Créée en 2006 et présidée par Abdelaziz Di-Spigno jusqu’à juin 2011, l’association ASIDCOM est une association de consommateurs musulmans, déclarée ( type loi 1901) le 3 octobre 2006 en Préfecture des Bouches-du-Rhône, puis déclarée le 28 janvier 2013 à la Préfecture du Nord et elle (...)
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